Les producteurs de lait ont suspendu hier la "grève du lait"
qu'ils avaient lancé il y a quinze jours. Curieusement, le mouvement
s'est durci au moment où les indicateurs repassaient au vert. Pour la
Commission européenne, rien de surprenant, la remontée des prix
agricoles ne se répercutant qu'avec retard sur les producteurs.
Jean-Luc Demarty, le directeur général de l'agriculture et du
développement à la Commission européenne, analyse pour nous ce conflit
dont les causes ne sont pas à rechercher du côté d'une soi-disant
"dérégulation", mais bien dans l'effondrement de la demande à la suite
de la crise économique. Demarty occupe son poste depuis janvier 2006.
Avant cela, il a été directeur du FEOGA (l'organisme qui gère le budget
agricole), membre de plusieurs cabinets et conseiller durant dix ans de
Jacques Delors.
La
grève du lait vient d’être suspendue. Etes-vous surpris ?
Non, car un début d´amélioration se fait sentir. Plusieurs indicateurs montrent un retour graduel à la normale. Les prix repartent à la hausse, actuellement à 25 cents le litre contre 22 au plus fort de la crise, et la dernière adjudication publique que nous avons organisée pour retirer du marché la production excédentaire n’a rencontré aucun succès. Cela montre que la demande a commencé à reprendre. Nous estimons qu´en principe à 30 cents le litre, les producteurs gagneront à nouveau correctement leur vie.
L’Union européenne a été accusée de ne pas avoir aidé les producteurs laitiers.
C’est
faux : nous avons utilisé l’ensemble des instruments de marché à notre
disposition. Ainsi, nous avons massivement racheté la production
excédentaire : actuellement, il y a 280.000 tonnes de lait en poudre et
80.000 tonnes de beurre dans les stocks communautaires, soit 2 % de la
production européenne annuelle. Sans ces interventions publiques, le prix du
litre de lait serait tombé bien plus bas. Ensuite, on a dit que la chute des
cours était due à une hausse des importations, ce qui est tout aussi
faux : le marché européen est protégé par des barrières douanières
efficaces. Actuellement nous importons entre 1 et 2 % de produits laitiers,
alors que nous exportons 7 à 8 % de notre production. Enfin, les producteurs
ont omis de rappeler qu’ils touchaient des aides directes du budget
communautaire pour un montant de 5 milliards d’euros par an dont 875 millions
pour les seuls producteurs français, et ce, quelle que soit leur production. Ce
qui représente environ un revenu de 3 à 4 cents supplémentaire par litre de
lait.
Les
producteurs affirment que c’est la fin programmée du système des quotas de production
prévue pour 2015 qui est responsable de la crise.
Là
encore, c’est inexact : nous sommes toujours dans le système des quotas et
ce, jusqu’en 2015. Il faut aussi savoir qu’en 2008 et 2009, la production
européenne a été inférieure à 4 % des quotas autorisés. En réalité, les
producteurs laitiers n’ont pas été victimes d’un marché soi-disant dérégulé,
mais d’une chute brutale de la demande à la suite de la crise économique. On
n’a jamais vu une telle baisse de la consommation, notamment sur des produits à
forte valeur ajoutée (fromages, yaourts, etc.) alors que le marché croissait
régulièrement jusque-là de 1 à 2 % par an.
Les
producteurs estiment que la disparition des quotas est une catastrophe
annoncée.
Lorsque l’Union a mis en place les quotas en 1984, les producteurs ont été les premiers à hurler… À l’époque, il s’agissait de mettre fin à une surproduction chronique : il y avait un million de tonnes de beurre et autant de poudre de lait dans les stocks communautaires. Pourquoi ? Parce que le système de soutien au prix que nous avions mis en place en 1968 (stockage public à un prix garanti, aide à l’exportation, protection aux frontières) poussait les agriculteurs à produire sans se préoccuper du marché : c’était le contribuable qui payait les excédents. On a donc décidé de limiter la production en accordant des quotas fondés sur des références historiques de production. Ce système a bien fonctionné, car il a limité la production, mais il n’a pas protégé les producteurs, le nombre d’exploitations ayant baissé de 80 % dans la plupart des anciens Etats membres. Surtout, il a introduit des rigidités incroyables. Ce système ne nous a pas permis de répondre à l’explosion de la demande mondiale en 2006 et 2007, ce qui a aggravé la flambée des prix. C’est pour cela qu’il faut permettre davantage de souplesse, sans pour autant renoncer aux instruments de régulation du marché que sont l’intervention publique ou les droits de douane. Il faut aussi réfléchir à d’autres instruments, comme les contrats entre les producteurs et les transformateurs ou encore que l’on créé des filets de sécurité modernes, qui permettraient aux producteurs de faire face à la volatilité des marchés. Mais, de toute façon, les quotas sont condamnés : il n’existe pas une majorité qualifiée d’Etats membres prêts à prolonger ce système.
Photo de la manifestation: Thierry Monasse
Merci pour cet entretien salutaire qui remet les choses en place après que la plupart des médias nous ont abreuvés d'images chocs d'épandage de lait en guise d'analyse....
"Les prix repartent à la hausse, actuellement à 25 cents le litre contre 22 au plus fort de la crise..."
"Nous estimons qu´en principe à 30 cents le litre, les producteurs gagneront à nouveau correctement leur vie."
Même si le prix du lait a tendance à augmenter, de toute évidence, cela n'est pas suffisant. En effet, le coût de REVIENT du litre du lait est de 32 cets, donc les producteurs du lait, étant payés 25 cents (dans le futur 30 cents), sont tout simplement PERDANTS !
Je ne comprends donc pas l'optimisme de votre interlocuteur.
Par ailleurs, la difficulté de "vivre ensemble européen", repose sur le fait que l'Europe est divisée entre partisans:
- du libéralisme : le Danemark et les Pays-Bas, adeptes de grandes exploitations
- et des pays comme la France, l'Allemagne ou la Roumanie, partisans de subventions.
D'où le confit d'intérêt et une future difficulté lors de la révision de la PAC.
Ce que aussi demandent les agriculteurs, c'est un gèle de l'augmentation des quotas, alors que Bruxelles s'obstine à les augmenter de 1% jusqu'en 2013.: on se demande bien pourquoi?!
"C’est pour cela qu’il faut permettre davantage de souplesse..."
GRACE A LA GREVE DU LAIT, les producteurs ont obtenu de Bruxelles l'autorisation temporaire pour que les gouvernements puissent verser jusqu'à 15.000 euros d'aide par exploitant, sans nécessité d'une permission de Bruxelles.
Donc, en Europe, il n'y aura pas de guerres, mais de nombreuses grèves...
Le mythe de la "dérégulation bruxelloise ravageuse" en la matière reste pourtant tenace. Merci pour ces éclaircissements.
Donc, si j'ai bien compris, les quotas seront supprimés en 2015, mais les dispositifs de soutien resteront en place. Merci pour cet interview qui resitue bien les choses en étant très factuel!!
Merci pour cet entretien...
Mais c'est vraiment regrettable qu'il faille se connecter à votre blog pour comprendre de quoi il s'agit.
Un ministre normal aurait réagi dans le quart d'heure après les premières manifestations de la grève du lait. Que faisait le commissaire à l'agriculture (et d'ailleurs c'est qui ???). Ce n'est pas avec des communiqués de presse et la bonne conscience pour soi qu'on calme les esprits et fait prévaloir la vérité dans les média. C'est à la téloche qu'il faut intervenir !!!
Résultat de ce manque d'implication des commissaires dans les média de masse nationaux: pour 60 M de Francais, ces manifs ont été la preuve éclatante de la dérive d'une Europe ultralibérale. C'est encore ce que je pensais il y a 30 mn.
Pourquoi aucun grand média français n'a t'il pris la peine d'interviewer ce type. Le Directeur Général de l'Agriculture, en langue française ? On a eu le ministre français, les responsables syndicaux français. Point barre.
Ils n'ont pas le téléphone, dans les rédactions françaises ?
00 32 2 299 11 11. Bonjour madame, je voudrais l'assistante de Jean Luc Demarty, à la DG agriculture.
Peut-être, à cause de la crise, leur a t'on coupé l'international ?
Ce ne serait tout de même pas délibéré ?
Jean Quatremer : vont ils publier ça dans le journal ?
Oh, tu sais, coco, l'Europe, ça ne tire pas les ventes.
Les propos du ministre, si.
La crise du lait est peut être finie pour M. Demarty. Je crains néanmoins que l'opinion des gens qui sont sur le terrain ou, au moins, un peu plus proche du terrain que M. Demarty, ne soit pas seulement le résultat dudit "matraquage" médiatique dont l'UE, M.F.B. et la DG AGRI auraient été victimes mais surtout le résultat d'une grave inconscience de la part de ces derniers.
La chose qui est peut être finie, c'est juste la partie la plus médiatique de la crise. D'ailleurs, et jusqu'à preuve du contraire, il me semble que cette crise s'achève plus (au moins en France) parce que Bruno Lemaire a rassemblé assez de pays pour imposer à la présidence suédoise d'inscrire la gestion de la crise du lait à l'agenda européen que parce que le prix du lait serait remonté de quelques centimes. De la part d'un français, faire croire que l'évolution journalière des prix du lait a un quelconque impact sur les producteurs, c'est de la désinformation, au même titre d'ailleurs qu'une bonne partie des informations données dans l'article : la majorité des producteurs français livrent en effet encore leur lait selon des accords pris tous les 6 mois, et je vois mal comment M. Demarty pourrait l'ignorer.
Par ailleurs, je crois M. Demarty trop intelligent, ou tout du moins, je l'espère trop intelligent, pour ne pas avoir encore compris que la flambée des prix observée en 2007 n'était rien d'autre que le résultat de spéculations boursières. Il n'y a pas eu d'explosion de la consommation de produits laitiers à ce moment là, il y a eu des projections qui ont fait croire à une explosion. Or ces projections, étaient, comme les chiffres avancés par M. Demarty, quelque peu biaisés. En effet, la consommation de produits laitiers n'augmente pas de 1 à 2% par an. La VALEUR des produits laitiers vendus dans le monde augmente de 1% à 2% par an. Je propose donc qu'on ne confonde plus, au moins sur ce blog, l'augmentation des marges de géants agro alimentaires tels que Nestlé et Danone et l'élargissement du marché sur lequel les producteurs de lait vendent, et qu'on arrête donc de croire à des chiffres qui n'ont de sens que pour ces géants de l'agro alimentaire, et aucun sens pour les producteurs de lait. Je suis d'autant plus étonnée que M. Demarty fasse encore semblant de croire à "une explosion de la consommation", qu'il me semble que ses propres services ont passé bien du temps à expliquer qu'il n'en n"était rien.
Je ne veux pas concurrencer Léa dans la rédaction de commentaires fleuves. (A ce sujet, je propose d'organiser un référendum de l'ensemble des lecteurs/commentateurs de ce blog qui poserait la question de savoir si une majorité d'entre nous pense qu'il est vraiment utile de continuer à laisser la demoiselle dire sa haine irréfléchie de tout ce qui peut se faire en Europe). Je m'arrête donc de faire la liste des imprécisions/désinformations présentes dans cet article.
J'en profite juste pour dire ma déception de voir ce qui reste un des fonctionnaires européens les plus appréciés des journalistes français se fourvoyer dans un exercice qui n'est pas à la hauteur de sa stature.
...et aussi pour dire que le drame de l'UE et des fonctionnaires qui la servent (et des journalistes qui la couvrent ?), c'est de toujours croire que les citoyens européens ne savent pas "ce qui est bon pour eux", voire de penser que les gens qui vivent hors du microcosme européen sont complètement abrutis. Mais non. Le désespoir exprimé dans les rues est réel. Et il est, effectivement, le résultat de politiques ultra libérales, menées par des gens qui n'ont même pas la décence d'assumer les conséquences de leurs actes.
On pourrait réfléchir à l'application des règles de concurrence aux centrales d'achat. Dans un canton, combien d'acheteurs ? Combien de positions dominantes ?
Mais il est vrai que, comme chacun le sait, la politique de concurrence est ultralibérale. Il est vrai aussi que "Bruxelles" est, dans ce cas, incompétent : C'est à l'autorité française de la concurrence d'agir.
Si elle le veut.
J'ai trouvé cette interview très intéressante, des arguments carrés et des références historiques vérifiables et surtout le gars sait parler un langage intelligible pour tous, y compris ceux qui vivent dans les villes et qui n'ont jamais trait une vache.
Juste un reproche ou plutôt une demande:
Jean peux-tu nous faire une interview; "réponse du berger à la bergère". En clair j'aimerais bien lire l'avis d'un représentant des laitiers sur ce sujet et sa réponse aux arguments développés par J-L Demarquer (ils doivent bien avoir des lobbystes à Bruxelles ces gens-là)
La crise du lait est terminée ?
Bon, il ne reste plus qu'à attendre la prochaine crise du porc, ou celle des producteur de fruits....
L'agriculture française est un secteur économique où l'on accepte pas :
- de payer des impôts et des cotisations sociales,
- de ne vendre ses produits à un prix fixé par le marché, comme dans la plupart des autres secteurs économique,
- de payer ses matières premières à un prix fixé par le marché, comme dans la plupart des autres secteurs économiques,
- l'adaptation à la situation économique du moment (cf la surproduction porcine)
- de respecter l'état mais où l'on exige tout de lui.
- le concept même de marché communautaire (ok pour vendre notre blé en Europe, mais pas ok pour acheter les fruits espagnols).
- etc...
Les producteurs de lait ont suspendu hier la "grève du lait" qu'ils avaient lancé il y a quinze jours. Curieusement, le mouvement s'est durci au moment où les indicateurs repassaient au vert. Pour la Commission européenne, rien de surprenant, la remontée des prix agricoles ne se répercutant qu'avec retard sur les producteurs. Jean-Luc Demarty, le directeur général de l'agriculture et du développement à la Commission européenne, analyse pour nous ce conflit dont les causes ne sont pas à rechercher du côté d'une soi-disant "dérégulation", mais bien dans l'effondrement de la demande à la suite de la crise économique. Demarty occupe son poste depuis janvier 2006. Avant cela, il a été directeur du FEOGA (l'organisme qui gère le budget agricole), membre de plusieurs cabinets et conseiller durant dix ans de Jacques Delors.La grève du lait vient d’être suspendue. Etes-vous surpris ?
Non, car un début d´amélioration se fait sentir. Plusieurs indicateurs montrent un retour graduel à la normale. Les prix repartent à la hausse, actuellement à 25 cents le litre contre 22 au plus fort de la crise, et la dernière adjudication publique que nous avons organisée pour retirer du marché la production excédentaire n’a rencontré aucun succès. Cela montre que la demande a commencé à reprendre. Nous estimons qu´en principe à 30 cents le litre, les producteurs gagneront à nouveau correctement leur vie.