L'Express du 15/11/2004
Le lait est-il dangereux pour la santé?
Propos recueillis par Jean-Marc Biais
Relayée
par les partisans des médecines douces, une campagne se développe
contre les laitages. Ils ne seraient pas particulièrement bénéfiques,
une consommation importante pourrait même être néfaste
Pour
Thierry Souccar
Membre
de l'American College of Nutrition, coauteur de Santé, mensonges et
propagande. Arrêtons d'avaler n'importe quoi (Seuil, 2004)«Mieux vaut consommer des laitages avec modération» Quand les experts du Programme national nutrition santé et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) recommandent trois ou quatre laitages par jour pour prévenir l'ostéoporose, on présume que ce conseil s'appuie sur des preuves irréfutables. Notre longue enquête montre qu'il n'en est rien. Ecoutez Roland Weinsier, de l'université de l'Alabama, qui a analysé les résultats des 57 études publiées sur le sujet: «On a du mal à voir l'intérêt des laitages parce que leur bénéfice sur la densité osseuse est extrêmement faible.» L'Organisation mondiale de la santé a même reconnu, il y a deux ans, que les pays qui consomment le plus de produits laitiers détiennent les records mondiaux de... fractures du col du fémur! Ils font également face à une épidémie de diabète infantile (dit «de type 1») sans précédent. Suspects? Encore les laitages. Introduits trop tôt dans l'alimentation, ils déclencheraient chez certains enfants une maladie auto-immune responsable de la destruction des cellules du pancréas. Comment
des aliments courants peuvent-ils, à dose élevée, avoir des
conséquences si calamiteuses? Nous ne consommons des laitages que
depuis huit mille ans. Un laps de temps insignifiant à l'échelle de
l'histoire de l'humanité. Pour la majorité d'entre nous, porteurs de
gènes venus du fond des âges, le lait est encore un intrus: 75% des
habitants de la planète ne le digèrent pas. Consommés aux doses
officielles, les laitages abaissent notre niveau de vitamine D,
substance connue pour ses effets anticancer. Les études publiées à ce
jour suggèrent d'ailleurs une «association positive» entre laitages et
cancer de la prostate. Pas de preuves formelles, certes, mais une
inquiétude. Une de plus. Qui conduit l'Institut américain de recherche
sur le cancer à recommander de consommer dorénavant des laitages «avec
modération». C'est aussi le message de l'Ecole de santé publique de
Harvard, que nous relayons dans notre livre.
Chaque
jour, un ou deux aliments sources de calcium suffisent: laitages, mais
aussi eau minérale, légumes, amandes ou sardines. Les experts français
vont-ils finir par se rallier à ces conseils de bon sens? On veut le
croire, même si, à l'Afssa, 20 des 29 experts en nutrition sont liés à
l'industrie laitière!
Contre
Dr Jean-Marie Bourre
Membre de l'Académie de médecine, auteur de La Vérité sur les Oméga 3 (Odile Jacob)
«Aucune étude sérieuse ne démontre la toxicité du lait»
Le procès du lait est ancien. Mais les arguments avancés par ses détracteurs restent très légers. La consultation des banques de données d'articles scientifiques l'atteste: il n'y a pas d'étude sérieuse qui démontre la toxicité de cet aliment. Certes, il y a des allergies au lait de vache. On peut alors lui substituer les productions d'autres mammifères. Attention au «lait» de soja, bien mal nommé, car il n'a absolument pas la même valeur nutritive que ses homologues animaux. Le
combat antilait est complètement irrationnel. Souvent, ceux qui
condamnent cet aliment sont également hostiles à la consommation de
viande. Ses pourfendeurs invoquent un argument: l'organisme humain ne
serait pas fait pour utiliser la production d'une autre espèce. Or la
vérité est exactement inverse. C'est parce que nos lointains ancêtres
ont eu le génie de consommer le lait des animaux que l'homme est devenu
ce qu'il est aujourd'hui. Le calcium et les protéines que renferme ce
liquide lui ont assuré des os plus solides, plus efficaces. La station
debout a ainsi été facilitée.
Le
lait est indispensable dans le cadre de l'équilibre alimentaire. Il
contient tous les acides aminés qui servent à élaborer les protéines
indispensables au développement et à l'entretien des cellules de notre
corps. C'est la principale source de calcium, car cette substance n'est
présente dans d'autres produits (légumes verts, fruits secs...) qu'en
très petite quantité. Il faudrait «brouter» exactement 3,9 kilos de
chou vert cuit pour ingérer l'équivalent d'un litre de lait (1 200
milligrammes de calcium). Le Plan national nutrition santé a évalué les
besoins en calcium nécessaires pour assurer la croissance des enfants
et maintenir le plus longtemps possible le capital osseux des adultes.
L'apport quotidien conseillé varie en fonction de l'âge et du sexe,
entre 500 milligrammes pour les enfants de moins de 3 ans et 1 200 pour
les femmes ménopausées. Les habitudes alimentaires de nombreux Français
(notamment les personnes âgées) se situent en dessous des doses
préconisées par les autorités sanitaires. La consommation moyenne de
lait est, chez nous, inférieure à celles observées dans bien des pays
étrangers. Il est dangereux d'encourager nos compatriotes à manger
moins de produits laitiers.
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